Guerre divine des éléments : Origines

Premiers Chants du Monde dans la tradition elfe
traduit de l’elfe ancien par Suyvel Ayflesh

 


Maîtres et sujets

Pendant des centaines de millénaires, les Quatre Seigneurs Elémentaux œuvrèrent à façonner le monde et le remplir de leurs créations. Lorsque les six races premières virent le jour, ils y trouvèrent un soutien conséquent, car ces êtres étaient empreints de la puissance créatrice de leurs Divins Concepteurs. Ils étaient infiniment plus faibles que les Quatre, mais devinrent au fil du temps très nombreux. Même si certains d’entre eux déclinèrent l’invitation des Quatre à participer à Leur Œuvre, la majorité les suivit et apporta une aide précieuse.

Vint un temps où il ne suffit plus aux Quatre d’être les Bâtisseurs du Monde. Où les six races premières ne satisfirent plus leurs attentes. Chacun des Quatre souhaitait désormais avoir descendance. Mais pas une progéniture issue du mélange des Eléments : des enfants issus de leur Essence élémentale pure. Ainsi disposeraient-ils d’ouvriers dévoués, aptes à modeler leur élément en propre, pour les assister dans leur tâche sans cesse plus complexe.

Eolia donna naissance aux Géants des Tempêtes, des êtres élémentaux de l’Air, d’une puissance colossale. Parmi eux, quatre fils se distinguèrent et elle les honora en les désignant Grands Vents, Seigneurs de l’Air. Elle les nomma Blizzard, Cyclone, Alizé et Zéphyr, ce qui, dans les langues anciennes, signifie respectivement Vent du Nord, Vent du Sud, Vent d’Ouest et Vent d’Est. Les Grands Vents s’en allèrent souffler sur le monde pour continuer l’œuvre de la déesse. Elle conçut également un fils, Ouragan, et une fille, Brise, qui eux demeurèrent au côté de leur divine Mère pour l’assister dans sa tâche.

Au fil du temps, les Géants des Tempêtes eux-mêmes ressentirent le besoin d’assistance dans leur ouvrage et demandèrent à Eolia de leur donner des aides. Celle-ci y consentit et leur conféra la faculté d’enfanter à leur tour. Les Djinns, esprit de l’Air de puissance moindre, furent les fruits de cette bénédiction divine. Plus tard, les Djinns aussi demandèrent un appui, et reçurent d’Eolia le don de procréation. Et ils donnèrent le jour aux Sylphes, élémentaux de rang inférieur.

Et tous ces êtres élémentaux, du plus grand au plus petit, servaient la Dame de l’Air.

Fimine enfanta les Géants de Pierre, dont la force pouvait changer le visage du monde. Elle les envoya soulever le sol, dresser montagnes et collines ou les aplatir, creuser les vallées et ouvrir des gouffres. Tellur, Tellaria et Zyrkon furent les plus grands de ses enfants et prirent place aux côtés de la déesse comme Rois de la Terre. Chacun reçut un tiers du continent dont il aurait la charge perpétuelle, veillant à ce que son fief croisse et prospère.

Lorsque ses enfants réclamèrent de l’aide, elle leur accorda le droit de concevoir des esprits de rang inférieur. Les Colosses de Pierre virent le jour et commencèrent à arpenter la terre. Plus tard, eux-mêmes eurent le droit de donner naissance aux Gnomes de Pierre, des élémentaux de la Terre certes mineurs, mais dont la force restait grande.

Et tous ces êtres élémentaux, du plus grand au plus petit, servaient la Mère de la Terre.

Posicillon eut pour descendance les Géants des Vagues, qui sculptèrent mers et rivières. Les plus zélés d’entre eux furent honorés par leur Seigneur et nommés Princes des Mers, chacun recevant la charge de veiller sur un domaine maritime, mer ou fleuve. Parmi eux, un fils et une fille, Typhon et Abysse, se montrèrent les plus puissants et Posicillon les garda près de lui pour le seconder dans son œuvre.

Quand les Géants des Vagues eux-mêmes furent trop occupés par leurs multiples tâches, Posicillon leur permit d’engendrer d’autres esprits de l’eau, de rang moindre. Sirènes et Tritons commencèrent à se multiplier et à peupler les grandes étendues d’eau du monde. Lorsqu’à leur tour, ils réclamèrent des subalternes, ils reçurent la capacité de créer des élémentaux mineurs, les Ondines.

Et tous ces êtres élémentaux, du plus grand au plus petit, servaient le Maître de l’Eau.

Vulfume engendra les Géants du Feu, qui œuvrèrent au cœur du monde de manière à le réchauffer et le mettre en mouvement. Certains furent envoyés à la surface, de façon temporaire lors d’éruptions volcaniques, ou de façon plus permanente. Parmi eux, un fils et une fille, Ardan et Pyria, se distinguèrent par leur puissance. Vulfume les employa pour agrandir son domaine : il avait en tête d’investir un des quatre soleils, l’étoile rouge, qui éclairaient la Terre des Eléments, afin d’y réaliser certaines de ses œuvres issues de son Essence élémentale pure, comme les éruptions solaires. Ardan y travailla avec tant d’ardeur que Vulfume lui offrit cet astre comme fief. Pyria resta près de Vulfume pour pouvoir l’assister toujours.

Alors que le monde croissait, les Géants du Feu ressentirent le besoin d’être aidés et Vulfume leur accorda la faculté de procréation et les Efrits virent le jour, vaillants ouvriers soutenant leurs aînés. Lorsqu’eux-mêmes n’y suffirent plus, ils reçurent la possibilité de générer des Salamandres, esprits mineurs du feu.

Et tous ces êtres élémentaux, du plus grand au plus petit, servaient le Seigneur de la Flamme.

 


Le cataclysme du Mont Brisé

Ainsi, les Quatre Dieux Elémentaux devinrent de moins en moins des bâtisseurs, et de plus en plus des maîtres d’œuvre et des Seigneurs régnant sur leurs domaines et sur leurs sujets sans cesse plus nombreux.

A tel point que la coopération des Quatre – qui avait été souhaitée et établie par l’Unique lui-même – fut de plus en plus difficile à maintenir. Car les Quatre ne pouvaient être partout et tout le temps, et leurs sujets, s’ils leur obéissaient en tout point, avaient une certaine initiative et surtout ne se préoccupaient que du plaisir de leur seigneur, pas de celui des trois autres.

Cette coordination des Quatre se dégrada lentement à mesure que le nombre d’esprits élémentaux présents sur le monde croissait. Ce fut ce qui mena à l’accident du Mont Brisé.

Un Géant des Tempêtes, un Géant de Pierre, un Géant des Vagues et un Géant du Feu s’y trouvèrent un même jour avec des instructions radicalement différentes. Eolia souhaitait faire de cette montagne une aiguille rocheuse, qui percerait les nuages. Fimine désirait en faire un mont vert, couvert par la végétation. Posicillon avait ordonné de la couvrir de glace et de neiges éternelles. Vulfume voulait en faire un volcan en activité, source de nouvelles rivières de lave. Lorsque chacun des quatre géants se mit à l’œuvre, il se heurta au pouvoir des trois autres, qui tentaient un ouvrage très différent. Et leurs pouvoirs se contrebalançaient, les empêchant d’accomplir la volonté de leurs maîtres. En zélés serviteurs, les géants luttèrent pour s’imposer, y consacrant tout leur vaste pouvoir, allant jusqu’à brûler leur Essence vitale dans un ultime effort pour imposer les vues de leurs maîtres. Et ils cessèrent d’exister.

Cet affrontement eut des conséquences imprévisibles. Le dernier assaut des quatre géants ne s’annula pas mais se combina, produisant une vague de pouvoir brut, d’une nature inconnue. Certains prétendirent que les géants, en mêlant le pouvoir des quatre éléments, avaient ponctuellement recréé le Pouvoir de l’Unique – Celui Qui fait et défait les mondes. Quoi qu’il en fût, la montagne fut ébranlée par le déferlement de ce pouvoir jusque dans ses racines, et son sommet explosa. A la place s’ouvrait une faille béante dans la réalité de ce monde, car le pouvoir combiné des quatre géants en avait déchiré les barrières.

Si la déchirure dimensionnelle disparut vite, la trame de la réalité en resta définitivement altérée. L’on murmure parfois que cette faille entre les mondes reste présente, et qu’elle pourrait fort bien être rouverte. Et la silhouette si particulière du Mont Brisé atteste encore aujourd’hui de la violence du phénomène.

Et surtout, lorsque la faille était béante, elle permit à des entités extérieures à notre monde de s’y infiltrer.


 

Les intrus

Ce fut ainsi que, de manière totalement imprévue, un couple de visiteurs inattendus prit pied sur notre monde : Nyx et Erèbe.

Qui étaient-ils ? Encore aujourd’hui, le sujet reste très controversé et fait l’objet de nombreuses hypothèses.

La première est que Nyx et Erèbe seraient des Grandes Divinités, Fille et Fils de l’Unique, au même titre que Quen et Niue, et leurs égaux en rang et en puissance. Cependant, nulle part ailleurs dans les récits de la Genèse ne trouve-t-on trace de ces deux entités. Et leur actes ne tendent pas à prouver qu’ils étaient les Enfants Divins de l’Unique.

La seconde est que ces êtres seraient issus du Néant et que leur nature les pousserait à détruire toute création à laquelle ils auraient accès. Des sortes de Dieux ou d’équivalents de démons, qui annonceraient la fin du monde. Mais là aussi, le débat fait rage au sujet de leurs actions : ont-ils tenté de détruire la Terre des Eléments, ou plutôt de la dénaturer ?

La troisième (et la moins populaire) est que Nyx et Erèbe seraient des Dieux aussi grands que l’Unique lui-même, mais provenant d’une réalité différente. Et leur but aurait été tout simplement de modeler notre monde selon leurs désirs, peut-être de le dérober à l’Unique et d’en devenir les maîtres. Bien que leurs actes semblent en accord avec cette thèse, ils ne montrèrent pas une puissance aussi étendue que celle de l’Unique.

La quatrième est que ces entités seraient des Dieux du Chaos. Selon certains cosmologues et théologiens, l’univers originel – appelé Entropie – serait informe et assujetti à ces Divinités. L’Unique aurait créé le monde à partir de cette matière instable et rejeté le Chaos en dehors en établissant une Barrière infranchissable pour les Dieux du Chaos. Ces Seigneurs de l’Entropie seraient imprévisibles, tantôt créateurs, tantôt destructeurs, mais leurs pouvoirs seraient à même de dénaturer le monde. Les actes de Nyx et Erèbe semblent corroborer cette hypothèse.

Il existe bien d’autres postulats, encore plus hasardeux que ceux-ci, mais les citer tous serait long et sans grand intérêt.

 


Bouleversement

Toujours était-il que Nyx et Erèbe venaient de faire irruption sur la Terre des Eléments. Leur arrivée – ainsi que le cataclysme qui l’avait précédée – ne manqua pas d’attirer l’attention des Dieux Elémentaux. Les Quatre se rendirent sur place en personne. Ils virent que le tissu de la réalité avait été déchiré, et sentirent la présence des deux intrus. Mais Nyx et Erèbe s’étaient déjà éloignés et usèrent de pouvoirs étranges pour dissimuler leurs traces, de sorte que même les Quatre ne purent les trouver.

Constatant leur impuissance à débusquer les intrus, les Quatre se trouvèrent devant un dilemme terrible : devaient-ils laisser la faille ouverte, de façon à pouvoir l’utiliser pour renvoyer les visiteurs dans leur monde ? Cela aurait été prendre le risque d’en voir d’autres s’introduire dans le nôtre. A contrecœur, les Quatre refermèrent la déchirure et convinrent de laisser le Mont Brisé en l’état, car même eux n’étaient pas certains des conséquences s’ils tentaient de modifier encore ce lieu. Puis ils se séparèrent.

Les Quatre avaient-ils conscience du danger que faisaient peser sur le monde Nyx et Erèbe ? L’on peut raisonnablement penser que non. Sans cela, ils ne se seraient sûrement pas laissé surprendre dans un état aussi tragique d’impréparation. Car le premier assaut fut prompt à venir.

Nyx, dans certains dialectes, est également dénommée Nuit, ou Mère de Toutes Ténèbres. Un nom lié à sa sombre apparence. Erèbe, appelé aussi Maître des Ténèbres et des Terreurs, serait donc son fils, à moins qu’il ne s’agisse de son frère. Tous deux portent des titres fort appropriés au vu des pouvoirs dont ils firent montre lors de leur attaque.

Nyx fit son apparition sur le domaine océanique de Posicillon et commença à insuffler son sombre pouvoir dans le domaine du Seigneur des Mers, tentant de dénaturer l’essence de l’eau. A cette époque, Posicillon avait fait de l’eau un élément d’une grande pureté, cristallin et conducteur de lumière, de sorte que tout le royaume sous-marin recevait la clarté des quatre soleils, qui flamboyaient dans les cieux. Les fonds marins étaient pure merveille, enchantement visuel de couleurs vives et de chatoiements discrets. Et voici qu’un voile noir commençait à obscurcir le domaine du Seigneur des Mers.

Lorsqu’il eut conscience de l’attaque, Posicillon fut alarmé de ce qu’il vit. Il tenta d’abord de s’opposer au dévoiement de son élément en contrant le pouvoir de Nyx. Cependant la Sombre Dame était trop puissante. Alors le Maître de l’Eau en appela aux autres Dieux Elémentaux, mais nulle réponse ne lui vint. En désespoir de cause, il alla se confronter directement, se dressant dans toute sa colère devant celle qui osait corrompre son essence élémentale. Nyx était une opposante de valeur et Posicillon lui-même ne put la défaire seul. Il leva alors ses légions d’élémentaux, des plus grands aux plus petits, et lança ses troupes dans la bataille. Les pertes furent grandes, y compris parmi les Géants des Vagues, et Nyx ne se laissa pas abattre. Néanmoins elle dut céder devant le nombre et se retirer, laissant la victoire à Posicillon, même si le tribut à payer fut lourd.

Fimine ne put répondre à l’appel du Seigneur des Mers car au même moment, elle livrait bataille à un adversaire non moins dangereux : Erèbe attaquait son fief.

Par le passé, la Mère de la Terre avait souhaité que la lumière baigne l’ensemble de son domaine. Par un ingénieux système de cristaux conducteurs de lumière, qu’elle avait essaimés dans les roches affleurant le sol, même les confins de son royaume souterrain recevaient la clarté des quatre soleils. Lorsque Erèbe foula le domaine de Fimine, il commença à éteindre ces formations cristallines qui lui répugnaient, en brisant certaines, en dénaturant d’autres afin qu’elles ne réfléchissent plus la lumière. Et il progressa ainsi, précédé d’une ombre grandissante.

Fimine vit qu’elle ne pourrait pas endiguer les outrages qu’Erèbe causait à son œuvre. Elle aussi en appela aux autres Seigneurs des Eléments, mais ne reçut pas davantage de réponse. Alors elle se résolut à marcher contre l’indésirable, et un combat terrible s’engagea. Si la force semblait indubitablement du côté de Fimine, Erèbe fit preuve d’une stratégie habile et d’une ruse sans limite, se dérobant sans cesse, égarant les coups de la Mère de la Terre avant de placer les siens par surprise. Fimine dut faire appel à ses Fils, les Rois de la Terre, pour limiter les marges de manœuvre de son ennemi et finalement le bouter hors de son domaine. Car Erèbe ne se laissa pas prendre, insaisissable qu’il était, ombre parmi les ombres. La victoire fut donc pour Fimine, même si celle-ci pleura longtemps tous les trésors que l’envahisseur avait corrompus et qu’elle ne pourrait jamais restaurer dans leur gloire première.

Vulfume n’entendit les appels de Posicillon et Fimine que bien trop tard. Il s’était retiré au cœur de son domaine flamboyant pour se lancer dans les préparatifs de l’affrontement qu’il pressentait. Jusqu’alors, les Quatre n’avaient jamais eu à livrer le moindre combat, et Vulfume songea qu’ils auraient bien besoin d’outils dédiés à cet usage. Il commença donc à forger armes et armures, pour lui bien sûr, et aussi pour ses pairs. Tout à son ouvrage, il prêta tardivement attention aux évènements en cours et, lorsqu’il parut enfin, terrible dans son armure flamboyante, Nyx et Erèbe étaient déjà loin. Longtemps, il arpenta le monde dans l’espoir vain de les retrouver. Impuissant et frustré, il gronda son courroux divin, défiant en pure perte les deux fuyards.

 

 

Confrontation

Fimine et Posicillon finirent par le rejoindre et ils tinrent conseil sur ce qu’ils devraient envisager suite à ces deux attaques. Ce fut seulement alors qu’ils réalisèrent qu’ils n’étaient pas au complet. Où restait donc Eolia ?

La Dame de l’Air n’était pas restée inactive : elle avait dépêché ses sujets partout sur le monde à la recherche des intrus, et les sylphes le parcouraient sans relâche, à l’affût du moindre signe de la présence de ces sombres entités. Lorsque leur attaque débuta, Eolia en fut donc informée, et les sylphes lui dirent que les êtres sombres ne semblaient pas les avoir repérés. La Dame de l’Air sut qu’elle tenait là une opportunité sans précédent : puisque les intrus s’étaient enfin dévoilés, ses agents devraient pouvoir les suivre lorsque Nyx et Erèbe repartiraient, et ainsi trouver leur repaire secret. Cependant, quand Posicillon et Fimine appelèrent à l’aide, Eolia se trouva face à un cruel dilemme : devait-elle se tenir à ses projets initiaux et ignorer l’appel, ou bien se lancer dans la bataille avec ses troupes, quitte à trahir leur présence et abandonner ses projets ? Au vu du déroulement de la bataille, elle devina que l’affrontement ne serait pas décisif et choisit de se cantonner à sa stratégie première.

Ce fut donc avec retard qu’elle apparut devant ses pairs, mais porteuse d’une nouvelle qui les réconforta : elle savait où se terraient Nyx et Erèbe. Les deux entités avaient bâti une sphère de ténèbres insondables en un lieu retiré. La magie de Nyx et Erèbe était si subtile que cette retraite ne pouvait être détectée que lorsqu’elle s’ouvrait pour les laisser entrer ou sortir. Forts de cette information capitale, les Quatre tinrent rapidement conseil et décidèrent d’aller affronter les intrus sans leur laisser la possibilité de commettre d’autres ravages. Alors Vulfume dévoila les armes et armures qu’il avait préparés pour ses pairs.

Les Dieux Elémentaux découvrirent avec étonnement et intérêt l’ouvrage de Vulfume. Posicillon revêtit un plastron miroitant qui pouvait éblouir l’adversaire, puis il empoigna un grand trident et des rets de combat. Fimine s’abrita dans une armure de métal plein qui semblait aussi pesante qu’invulnérable mais ne la ralentissait en rien, et se saisit d’une épée et d’un bouclier. Eolia enfila une cotte aux mailles si légères qu’elles ondulaient dans le vent, une protection flottante dans laquelle toute arme ennemie semblait vouée à se perdre, puis elle se coiffa d’un casque ailé et brandit un arc. Vulfume, lui, était déjà paré de son armure si incandescente qu’elle infligerait des brûlures cruelles à tous ceux qui la frapperaient. Et il tenait entre ses doigts un marteau de guerre et un fléau d’armes.

Alors les Quatre marchèrent contre Nyx et Erèbe. Eolia les guida jusqu’à l’antre dissimulée et en déchaînant leurs pouvoirs, ils eurent tôt fait d’anéantir les sortilèges de protection. La bulle de négation se dissipa et alors apparurent les deux sombres entités.

Selon la légende, le combat qui s’ensuivit fut terrible. Les Quatre manièrent avec habileté les fruits du labeur de Vulfume et déchaînèrent tous leurs pouvoirs élémentaux sur les intrus. Pourtant, la victoire ne semblait pas devoir leur sourire. Grande et impassible dans son immense manteau de nuit, Nyx faisait face avec flegme aux assauts rageurs de Posicillon et d’Eolia qui le soutenait. Elle semblait faire fi de tous les coups reçus, qui se perdaient dans les ténèbres de sa cape mouvante et impénétrable au regard. Quant à Erèbe, vif et trompeur, il esquivait tous les assauts vengeurs de Fimine et ceux de Vulfume, se jouant de ses adversaires puissants mais plus lents que lui, se cachant dans la moindre ombre qu’il croisait, pour ressurgir à un autre endroit et porter ses coups là où on ne l’attendait pas.

Alors Fimine et Vulfume profitèrent qu’Erèbe se dérobait une fois de plus pour se concerter et décider qu’il serait plus judicieux de se concentrer sur un seul adversaire à la fois. Ils rejoignirent donc Eolia et Posicillon pour joindre leurs forces et abattre Nyx en premier lieu. Celle-ci fut alors en grand péril mais, envers et contre tout, elle parvint à résister aux Quatre ensemble, ce qui en disait long sur l’étendue de sa puissance. Même si elle y laissa beaucoup de force, elle leur tint tête assez longtemps pour permettre à Erèbe de revenir à la tête de renforts. Les intrus n’avaient pas perdu leur temps et avaient commencé à essaimer de noires créatures partout où ils avaient répandu leur pouvoir, et la première vague venait de naître. Le cours du combat s’inversa et les Quatre se trouvèrent ainsi en fâcheuse posture. Finalement, les dons de Vulfume s’avérèrent décisifs. La horde des noires terreurs fut abattue.

Les Quatre mirent à profit un court répit pour se concerter. Ils avaient bien compris la leçon et décidèrent d’éviter de laisser Nyx ou Erèbe libre de leurs actes, pour les empêcher de lever d’autres horreurs. A nouveau, ils attaquèrent les intrus en duo, mais ils mirent de côté leurs griefs envers leurs assaillants, préférant donner priorité aux questions tactiques.

Ce furent donc Posicillon et Eolia qui attaquèrent Erèbe cette fois. La Dame de l’Air était vive, pas autant qu’Erèbe, mais elle le retrouvait toujours, le harcelait sans cesse et lui ne parvenait pas à lui échapper bien longtemps. Et les flèches de foudre et de lumière que tirait l’arc d’Eolia finissaient par affaiblir le Maître des Ténèbres. Posicillon eut du mal à suivre le rythme échevelé de cette poursuite mais ses rets de combat furent décisifs. Il parvint à y enserrer Erèbe, le ralentissant juste assez longtemps pour qu’Eolia et lui puissent placer tous deux un coup direct à leur opposant. Erèbe hurla, vaincu, et sembla se dissoudre dans l’air.

De leur côté, Fimine et Vulfume firent appel à toute leur puissance pour déjouer les protections de Nyx, passer outre sa cape de ténèbres et tenter de la frapper directement. Celle-ci ne se laissait pas faire et, entre les noirs sortilèges qu’elle tissait et son glaive nocturne qu’elle maniait avec précision, elle fit subir moult blessures cruelles à ses adversaires. Toutefois, sa sombre cape finit par se déchirer sous la violence des assauts et elle fut alors exposée. Comprenant que le sort des armes ne lui serait pas favorable dans ces conditions, elle tenta une dernière manœuvre : elle défit son manteau et le projeta dans le ciel, où il enfla démesurément et alla s’enrouler autour du soleil rouge, fief d'Ardan. Ce dernier sentit la morsure des ténèbres et la nuit qui l’envahissait rapidement. Il appela Vulfume, son maître, en désespoir de cause. Le Seigneur de la Flamme, outragé de voir son fils en grave péril et son domaine menacé, rompit le combat et se porta au secours d'Ardan. Saisissant le sombre manteau à pleines mains, il ménagea une ouverture qui permit à Ardan, mal en point, de quitter l’astre agonisant dans une énorme éruption de matière en fusion. Vulfume ne put malgré tout empêcher la cape de Nyx de ronger son domaine, amenuisant sa flamme à jamais. Lorsqu’enfin il réduisit le manteau en lambeaux, il ne put que se borner à constater les dégâts sur le fief d'Ardan. Et ce dernier était bien mal en point.

Désormais, Fimine restait seule à faire face à Nyx, ce qui rendait l’issue du combat bien plus incertaine. Mais sans sa cape, cette dernière était exposée. La Mère de la Terre put placer un coup d’épée qui fit chanceler son opposante, et renouvela son attaque pour la faire tomber. Selon la légende, Fimine aurait englouti Nyx dans les profondeurs de son domaine et aurait placé un sceau sur sa prison pour l’empêcher d’en sortir, à jamais. Mais certains mythes racontent qu’au moment où Nyx tomba au sol, elle se volatilisa – comme si elle n’avait jamais existé.

 


Discorde des Eléments

Qu’est-il exactement advenu de Nyx et Erèbe ? Aujourd’hui encore, la question fait débat.

Certains pensent qu’ils ont été détruits par les Quatre, annihilés et que plus jamais on ne les reverra.

D’aucuns disent qu’ils n’ont pas réellement été détruits, qu’ils se sont seulement retirés pour éviter la destruction complète et que même s’ils ont perdu de leur puissance, ils continuent à hanter notre monde, guettant sans doute une opportunité de recouvrer leur pouvoir passé et de plonger ces terres dans un Âge de Ténèbres.

D’autres enfin affirment que Nyx et Erèbe sont des déités extérieures et qu’en tant que dieux, ils sont immortels. Ils auraient bien été vaincus et détruits par les Quatre, et du coup rejetés hors des frontières de notre monde, dont ils seraient bannis suite à leur défaite, maintenus à l’écart par le pouvoir des Quatre, et incapables d’y revenir par leur seule volonté. Mais si par malheur quelqu’un de notre monde venait un jour à les appeler, à leur permettre de pénétrer à nouveau sur la Terre des Eléments, l’on peut craindre qu’ils exerceraient une cruelle vengeance…

Quoi qu’il en soit exactement, la victoire laissait un goût bien amer aux Dieux Elémentaux. Pour commencer, le manteau de Nyx avait définitivement rongé le soleil rouge. Et l’éruption massive qu’avait dû susciter Ardan pour pouvoir fuir le sort funeste qui l’attendait avait encore amoindri la masse de ce soleil. Au Premier Âge de ce monde, il avait été une Géante Rouge, plus vaste que les trois autres étoiles. Désormais, sa taille dans le ciel était équivalente à celle des autres.

Vulfume eut à s’employer longtemps pour réparer les dommages infligés à ce soleil, mais il dut pour cela s’éloigner considérablement de la Terre des Eléments. Il finit par venir à bout de cette tâche immense. Alors, stabilisé, le soleil rouge retrouva de son éclat. Vulfume y installa Ardan, encore très affaibli, afin qu’il puisse y guérir en profitant de l’indicible fournaise du soleil. Son fils reprit vie mais ne retrouva jamais sa puissance d’antan. Le Seigneur de la Flamme finit par laisser le soleil rouge à la garde d'Ardan et retourna sur la Terre des Eléments.

La lumière y était revenue presque à la normale, le soleil rouge ayant retrouvé un état stable. Mais le pouvoir de Nyx ne semblait pas devoir s’éteindre… Les fragments de son manteau de nuit s’étaient fixés sur la matière issue du soleil rouge, celle qui avait été expulsée dans l’espace lors de la fuite d'Ardan. Elle se condensa en quatre sphères de matière éteinte qui furent happées par l’attraction des quatre soleils, et chacun captura un de ces petits astres morts qui devinrent leurs satellites. Chacun tournait autour de son soleil, à la même vitesse, plongeant la Terre des Eléments dans son ombre à chaque fois qu’il éclipsait son soleil. Les quatre lunes continuent encore aujourd’hui à hanter le ciel, témoignages du drame passé.

Alors pour la première fois sur la Terre des Eléments, il y eut une nuit. Et en un cycle immuable de vingt-sept heures, elle se répéta à l’infini. Il était dit que l’empreinte du passage de Nyx sur notre monde serait indélébile.

Le Seigneur de la Flamme restait courroucé de la réduction de son domaine. Durant les millénaires qui suivirent, il reprocha fréquemment aux autres Dieux Elémentaux de n’être pas intervenus pour empêcher la cape de Nyx de dévorer son fief – oubliant que ses pairs étaient alors engagés dans un combat encore plus vital.

Posicillon, de son côté, avait vu son domaine dévoyé par les pouvoirs de la Sombre Dame. Jamais plus l’eau ne retrouva sa transparence parfaite, son éclat cristallin. Les profondes étendues d’eau devinrent des pièges à lumière et jamais plus les grands fonds ne connurent l’éclat du jour. Les fosses sous-marines devinrent royaumes de ténèbres et d’étranges monstres – la sombre engeance de Nyx – commencèrent à les peupler, s’en prenant aux sujets du Seigneur des Mers. Posicillon admonesta longtemps les autres Dieux, faisant valoir que, s’ils avaient répondu diligemment à son appel, il aurait pu préserver l’intégrité de son domaine – omettant que Fimine était elle-même assaillie et que les actions de Vulfume et d’Eolia allaient leur permettre de remporter la victoire finale.

Fimine, pour sa part, désespérait d’effacer tous les dégâts commis par Erèbe. Tant de ses trésors avaient été brisés ou souillés ! Et les ténèbres s’étaient insinués dans son royaume souterrain, en gâchant la splendeur passée. Les horreurs engendrées par Erèbe entreprirent de les hanter, guettant les infortunés qui viendraient s’y perdre. La Mère de la Terre chapitra ses pairs pour n’avoir point accouru à son secours lorsqu’elle fut attaquée – et les reproches identiques de Posicillon ne firent que rendre les siens plus acerbes encore.

Quant à Eolia, tous finirent par oublier sa contribution à la victoire sur les intrus, elle qui avait su repérer leur retraite, et lui reprochèrent son absence d’intervention durant la première attaque. Nul d’entre eux ne lui exprima la moindre compassion quant à ce qu’elle avait elle-même perdu – la nuit qui revenait en permanence sur le monde recouvrait son domaine et lui faisait horreur, glaçait ses enfants et les dénaturait passagèrement. Mortifiée par tant de dureté, blessée, la Dame de l’Air se retira sur son domaine et pleura longtemps. Ce fut le Siècle des Larmes. Toute l’eau qui tomba du ciel durant cette époque avait une saveur étrangement amère…

Cet état de choses perdura. La rancune s’installa durablement entre les Quatre. Il ne fallut pas longtemps pour que chacun d’entre eux commence à penser que les choses iraient mieux s’il était le seul à commander à la destinée de la Terre des Eléments. Eux qui avaient œuvré de concert à bâtir ce monde oublièrent la Parole de l’Unique et se détournèrent de Son Dessein, commençant à travailler pour leur propre compte. Chacun créait ce que bon lui semblait, sans plus se préoccuper des autres. Chacun ne se souciait plus que de son autorité, de son prestige et de la gloire de son domaine. Evidemment, leurs projets individuels ne tardèrent pas à entrer en conflit avec ceux des autres…

Les graines de la discorde avaient été semées. Elles auraient pour fruit le plus épouvantable conflit qui ait à ce jour ravagé ce monde : la Guerre Divine des Eléments…

Celle-ci ferait rage pendant vingt millénaires.

Certains théologiens y voient l’ultime vengeance de Nyx et Erèbe.